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Journée Internationale des droits des femmes: Antoinette Prudence, bilan d’une vie d’engagement désintéressé

Antoinette Prudence, militante infatigable et désintéressée décédée le 1er avril 2007, occupe aujourd’hui les plus belles pages de l’Histoire de son île pour avoir consacré toute sa vie à la défense de la cause de Rodrigues qu’elle chérissait plus que son propre mieux-être. En cette journée où le monde entier célèbre la Journée des Droits des Femmes, Hello Rodrigues rend hommage à cette dernière en signe de devoir de mémoire.

Il est un fait indéniable que les sociétés post-esclavagistes portent, gravés dans leur sang et dans leur chair, les cruelles séquelles de la colonisation et son lot de complexes d’infériorité. Et la petite île Rodrigues, entité géographique ayant évolué dans l’extrême isolement, loin des grands axes de développement, et sous la tutelle d’une île Maurice portant elle-même encore les profondes plaies de la colonisation, constitue un exemple de ces sociétés insulaires qui ont dû batailler fort pour la reconnaissance de leur identité propre, l’émancipation de leur peuple et un statut autonome pour leur auto-administration. Surtout du fait que le particularisme rodriguais tient par-dessus tout à l’homogénéité remarquable d’une population qui, dans son ensemble, est classée dans la case «population générale», c’est-à-dire population d’origine non asiatique, sur lequel s’ajoutent les différences et décalages culturels. Antoinette Prudence, militante infatigable et désintéressée décédée le 1er avril 2007, occupe aujourd’hui les plus belles pages de l’Histoire de son île pour avoir consacré toute sa vie à la défense de la cause de cette île Rodrigues qu’elle chérissait plus que son propre mieux-être.

Textes: Noel Allas / Photos Archives du Centre Carrefour de Rodrigues

Après ses études primaires déjà, Antoinette bouscule les conventions sociales en faisant son entrée au collège alors même qu’à l’époque, les croyances populaires ne voyaient pas d’un bon œil que les filles aient accès à l’éducation secondaire. Après sa formation dans le domaine de l’enseignement, elle prend de l’emploi comme institutrice, tout en étant engagée dans les mouvements d’église, dont l’Action catholique des Enfants, dont elle est faite présidente, avant d’être promue membre de l’équipe régionale du Mouvement des Enfants des îles de l’océan Indien, et secrétaire générale du Mouvement international d’Apostolat pour les Enfants à Paris où elle est appelée à assurer l’accompagnement des sections de ce mouvement dans les régions d’Amérique latine, de l’Afrique de l’Ouest, de l’Asie et de l’Afrique australe.

Son expérience l’ayant permis de mieux comprendre les enfants, elle veut inviter les Organisations internationales catholiques et les communautés à être davantage à l’écoute des enfants et à prendre en compte leurs aspirations dans l’exercice de prise de décisions concernant leur avenir. «Les enfants ont des choses à nous dire. Ils sont nos partenaires et ils ont une soif d’être considérés comme tels. Ils ne sont pas trop petits», leur martèlera-t-elle lors d’une conférence internationale en 1987.

Son idée était : de faire tomber le concept de discrimination considérant les garçons comme étant supérieurs aux filles au sein de la famille ; que la société rodriguaise puisse surmonter certaines idées préconçues désignant l’homme comme le dominant ; et que toute forme de préjugés sur la base du sexe disparaisse.

Directrice du Bureau de l’Éducation catholique

Après l’obtention d’une licence en sciences de l’éducation à l’université Paris VIII, Antoinette connaîtra une progression fulgurante au sein du Bureau de l’Éducation catholique et révolutionnera tout le système. Pour que les objectifs de l’éducation dans une société de petite paysannerie ne se résume pas à une banale course vers un diplôme mais à préparer les jeunes à être des citoyens responsables soucieux d’apporter une participation réelle à leur propre développement. En tant que directrice du Bureau de l’Éducation catholique, elle réinvente donc l’éducation dans les écoles catholiques et introduit un système d’accompagnement scolaire et le concept de conseil pédagogique pour une meilleure sensibilisation des parents à l’importance de l’éducation, et pour combattre le grave problème d’absentéisme. 

En 1990, le «Centre Carrefour» est mis sur pied pour représenter le bras social de l’Église et c’est Antoinette Prudence qui est nommée à la direction. L’objectif est de développer une vision de l’homme inspirée par la Doctrine sociale de l’Église, d’assurer la formation des personnes et des groupes engagés dans la vie sociale et ecclésiale, et d’offrir un espace afin de se rencontrer pour des échanges, des débats et des confrontations d’idées. Antoinette annonce tout de suite ses couleurs et s’attaque aux problèmes récurrents faisant obstacle à la libération intégrale de l’homme rodriguais. Selon elle, un peuple plus conscient de son histoire, de sa culture, et qui exprime son identité culturelle avec fierté, assume mieux son passé. Ce qui la pousse à réunir les différents groupes sociaux pour des débats sur les différents défis auxquels l’île est confrontée : l’environnement, l’alcoolisme, le déboisement, le chômage, le logement, l’égalité des genres, la communication, mais surtout l’urgente nécessité que les décisions soient prises localement, et l’implication du Rodriguais dans son propre développement.

Cette initiative a eu pour résultats l’éveil de la conscience rodriguaise et le sens d’appartenance à une terre dont ce peuple a la responsabilité. Le combat – politique – initié depuis 1976 pour une décentralisation des pouvoirs à Rodrigues par le biais d’une autonomie administrative s’en retrouve donc fortifié.

Le gouvernement mauricien envoie ainsi un signal positif aux Rodriguais avec la mise sur pied, en 1992, du «Conseil local de Rodrigues», un organisme aux pouvoirs consultatifs, et Antoinette Prudence est nommée à la présidence. Or, avec l’avènement d’un nouveau gouvernement en 1995, l’île est «oubliée», entraînant la mort du Conseil en 1996. «La façon dont Maurice ‘‘oublie’’ Rodrigues relève du mépris», réagit une Antoinette Prudence furieuse au gouvernement mauricien. Surtout que le projet «Université des Mascareignes», conçu par elle pour développer une conscience «indiaocéaniste» dans la région, tombe à l’eau.

Un comité de haut niveau est institué en vue de faire des propositions sur les réformes des administrations régionales, dont Rodrigues, et Antoinette Prudence est invitée à y faire partie. Dans ses conclusions, la commission propose, pour l’administration de Rodrigues, une structure semblable aux Conseils de Districts de Maurice. Mais, considérant qu’une entité géographique située à 600 km, où vit un peuple avec ses spécificités culturelles propres, ne peut être réduite à un statut de district, Antoinette Prudence marque son profond désaccord par une note incluse dans le rapport final du comité.

En vue de calmer ses ardeurs, le gouvernement mauricien lui propose le poste d’ambassadeur de Maurice à Paris et auprès de l’UNESCO, mais elle décline cette offre car, pour elle, il était plus important d’accompagner son île natale vers son destin politique que de suivre l’évolution de son peuple de haut et de loin.

Le pays avant le parti

En septembre 2000, Antoinette Prudence lance le Front pour l’Autonomie de Rodrigues (FAR), un organisme regroupant les mouvements d’action catholique affiliés au Centre Carrefour et une vingtaine d’ONG. L’objectif était de rassembler toutes les énergies de l’île autour des questions concernant l’avenir du pays, à travers des réflexions objectives et selon le slogan Le pays avant le parti

Selon elle, l’autonomie doit permettre la décentralisation et une dévolution du pouvoir, en donnant la possibilité aux Rodriguais d’élaborer des lois et des règlements spécifiques à Rodrigues, vu le contexte économique, historique et social différent de Maurice. Elle propose la mise en place d’une structure du type d’un conseil économique et social pour que le Parlement ne soit pas le seul à prendre des décisions. Rodrigues devrait aussi pouvoir participer en tant qu’île dans les instances régionales. 

En février 2001, le Premier ministre mauricien annonce son intention d’accorder à Rodrigues une «autonomie maximale», calquée sur le modèle en place à Trinité-et-Tobago. Antoinette Prudence est invitée à faire partie d’une mission gouvernementale dépêchée sur place pour une étude du mode de fonctionnement du système. 

Après la mise en place de l’Assemblée régionale de Rodrigues, en octobre 2002, c’est Antoinette Prudence qui est à l’origine de la création du Front pour l’Avancement de l’Autonomie de Rodrigues (FAAR), dont les objectifs étaient de sensibiliser davantage la population et les décideurs sur l’importance de préserver les acquis de l’autonomie. Elle voulait que chaque Rodriguais puisse comprendre que le bien commun doit toujours primer sur les intérêts personnels et que l’engagement de chaque militant soit une participation désintéressée.

Durant les 54 années qu’Antoinette Prudence a vécu en ce monde, elle a su être un exemple d’humilité, d’intégrité et d’engagement pour un peuple. Et il serait dommage que sa mémoire ne soit laissée aux seuls soins du passé. Aujourd’hui, une école primaire et le Centre du Développement des Ressources humaines de l’île portent fièrement son nom, alors que l’église rodriguaise souhaiterait la voir élevée au rang de «Bienheureuse».

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