Le 7 octobre 2025, Rodrigues a vibré à l’unisson : c’était le grand retour de la pêche à l’ourite, moment de ferveur qui rythme la vie de l’île chaque année. À Port Sud-Est, Harel Emilien, enseignant, amoureux de la mer, de la photographie et passionné de Rodrigues, a vécu cette journée intense et nous partage son expérience à travers ce reportage.
Textes et photos : Harel Emilien
Le jour n’était pas encore complètement levé que déjà, le village vibrait d’une effervescence particulière. Le ciel de Port Sud-Est était couvert, lourd de nuages, mais la pluie s’était abstenue, comme si le temps lui-même voulait assister à cet événement tant attendu : l’ouverture officielle de la pêche à l’ourite.

Sur le platier humide, la scène était saisissante. Femmes et hommes, bottes aux pieds ou nu-pieds dans le sable, avançaient d’un pas assuré. Casquettes ou chapeaux de paille traditionnels vissés sur la tête, harpons à la main, ils scrutaient les moindres anfractuosités du récif. Il fallait de la patience, de l’agilité, parfois un peu de chance, pour débusquer le précieux poulpe, tapi dans le sable ou accroché aux rochers.

Très vite, les premières prises sont apparues, glissant hors de leur cachette sableuse ou rocheuse. À chaque capture, c’était une petite exclamation de victoire ! Les bayans, acheteurs de gros, attendaient déjà au rivage pour négocier les paniers encore dégoulinants, pendant que des agents comptabilisaient méthodiquement la récolte ; – combien d’ourites, combien de kilos – pour dresser le portrait de cette première journée. Un rituel nécessaire pour suivre l’évolution des stocks, car à Rodrigues, la pêche à l’ourite est strictement encadrée : une fermeture annuelle permet aux poulpes de se reproduire et à l’écosystème marin de se régénérer.

On sentait l’énergie de l’instant, renforcée par le ballet des caméras et des téléphones des journalistes qui diffusaient des directs sur les réseaux sociaux. De la diaspora, à Maurice, à l’étranger, les Rodriguais ont suivi, émus, le retour de ce souffle vital : la mer qui redonne ses richesses.

Certains pêcheurs sont toutefois repartis bredouilles, les paniers vides mais le regard toujours tourné vers l’horizon. « Demain, mo pou revin pli bonnere », sourit un pêcheur confiant. Ici, la mer est une alliée, jamais un acquis.

Ce soir-là, il était évident que la star sur les tables, dans les foyers rodriguais comme dans les restaurants, était incontestablement l’ourite. Sauce rouge, curry, civet, salade ou grillée, chaque plat racontait une part de l’âme de l’île. L’ourite s’invitait au dîner familial, accompagnant le fameux « ti gadjak » de l’apéritif. Dans quelques jours, ces mollusques prendront le large en direction de l’île Maurice, où ils seront revendus, continuant ainsi leur voyage et leur succès au-delà de la petite Île.

Pour vous, voyageur, cette journée n’aura pas été qu’un spectacle. Elle aura été une plongée dans l’essence même de Rodrigues : une île qui vit au rythme de son lagon, racontée ici à travers le regard d’un amoureux de la petite Île Rodrigues, témoin privilégié de ce retour à la mer.
À savoir : la réglementation de la pêche à l’ourite
À Rodrigues, la pêche à l’ourite n’est pas seulement une tradition : elle est aussi un enjeu majeur pour la préservation du lagon et des ressources marines. Afin de protéger cette espèce et de garantir sa reproduction, la pêche est strictement réglementée :
Période de fermeture annuelle : chaque année, pendant environ trois mois (généralement de février à mai), la pêche à l’ourite est interdite. Cette trêve permet aux poulpes de se reproduire et de maintenir la population à un niveau durable.
Ouverture officielle : la date est fixée par les autorités locales et marque un véritable événement social et culturel, attendu avec impatience par toute l’île.
Suivi scientifique : lors de l’ouverture, des agents sur le terrain comptabilisent les prises afin d’évaluer la récolte et d’adapter, si nécessaire, les mesures de gestion.
Pêche artisanale : la grande majorité des captures se fait à pied, sur les platiers du lagon, à l’aide de tiges métalliques ou de harpons. Dans les zones plus profondes, la pêche se pratique en barque.
Cette gestion durable, unique dans la région, fait de Rodrigues un exemple en matière de préservation de ses ressources naturelles, tout en valorisant son patrimoine culturel et culinaire.
Saveurs du lagon : l’ourite à toutes les sauces
À Rodrigues, l’ourite n’est pas seulement une ressource économique : c’est une véritable star de la cuisine locale. Sur les tables familiales comme dans les restaurants, il se décline en une multitude de recettes qui séduisent autant les habitants que les visiteurs.
Les incontournables :
Ourite en sauce rouge – mijotée longuement avec tomates, oignons, ail et épices, c’est la recette la plus emblématique.
Civet d’ourite – relevé au vin, aux herbes et aux aromates, il séduit par sa profondeur de goût.
Cari d’ourite – parfumé au massala, au curcuma et au lait de coco, un plat qui allie douceur et caractère.
Salade d’ourite – fraîche et citronnée, idéale après une journée au soleil.
Ourite grillée – simplement assaisonnée et cuite au feu de bois : un délice brut et authentique.
Et pour le ti gadjak (l’apéritif rodriguais), l’ourite se savoure aussi en petites bouchées épicées, ou en salade, presque toujours accompagné d’un rhum arrangé maison.