Impossible d’y échapper : pendant les 4ème Jeux de Rodrigues en mai dernier, toute l’Île chantait « pisso pisso… mounian mounian… ». L’auteur Bernadin Moutien a marqué les esprits avec « Nou pou la », un hymne vibrant qui a fédéré toute une île. Derrière cette chanson populaire, un homme discret mais passionné, amoureux du kreol rodriguais et porteur d’une parole ancrée dans la culture locale.
Journaliste: Laura Samoisy/Photos: James Castel, Nathaniel Sainte-Marie et Dr
Dès les premières notes, l’île a vibré. Des enfants aux adultes, tous avaient les paroles sur les lèvres. « Pisso pisso… mounian mounian… Kassé merikin… » Ces expressions d’antan, ont retrouvé leur éclat grâce à la plume de l’auteur. À Rodrigues, son nom est synonyme de talent et de sensibilité. Pour les 4e Jeux de l’île, c’est lui qu’on a sollicité pour écrire l’hymne officiel. Et il n’a pas déçu. Avec « Nou pou la », Bernadin Moutien signe bien plus qu’une chanson d’événement : un cri du cœur collectif, une célébration de l’identité rodriguaise dans toute sa richesse. En ramenant dans l’air du temps ces mots d’antan, Bernadin Moutien a su tisser un lien subtil entre mémoire et modernité, entre culture populaire et fierté partagée.
Pendant les Jeux – et bien au-delà – la chanson a accompagné les moments de joie, les compétitions, les retrouvailles. Elle est devenue un hymne spontané, chanté dans les rues, dans les écoles, dans les stades, symbole d’une unité joyeuse et vivante. « Nou pou la » restera gravée dans les annales comme la bande-son d’un événement marquant et d’un peuple en mouvement.
Bernadin Moutien, une plume enracinée dans l’âme créole
Derrière cette chanson inoubliable se tient un homme humble et profondément engagé. Fonctionnaire à la retraite, Bernadin Moutien est avant tout un passionné des lettres, un amoureux des mots – et plus particulièrement du kreol rodriguais, qu’il chérit, cultive et sublime dans chacun de ses écrits. Membre de l’Académie Kreol, c’est lors de la préparation de la nouvelle version du dictionnaire kreol rodriguais qu’il a fait revivre ces expressions. « En travaillant sur le projet, je me suis rendu compte que les expressions d’antan n’y figuraient pas. J’ai alors proposé à l’Académie Kreol de prendre en compte cet aspect, et c’est ainsi que m’est venue l’idée d’intégrer quelques-unes de ces expressions dans la chanson des jeux », explique Bernadin Moutien.
Poète dans l’âme, auteur discret mais constant, il porte en lui la voix d’un peuple et la mémoire d’une île. Au fil des années, il s’est imposé comme une figure littéraire respectée, à travers ses textes et son engagement pour la valorisation de la culture créole. « J’ai toujours été passionné par l’écriture et la lecture. Dans les années 90, Doyal Edouard avait écrit une chanson pour le Festival de la mer et m’a demandé de la relire pour lui donner mon avis. Nous avons retravaillé le texte ensemble, et cela lui a valu le premier prix. C’est ainsi que l’aventure a commencé. Doyal m’a appris à compter les syllabes pour composer des chansons, entre autres techniques. Quelques temps plus tard, j’ai écrit le séga Corbeau ek krié, interprété par Doyal Edouard, qui a rencontré un succès incroyable », se remémore notre interlocuteur.
Auteur de « Baiser du Cap », un recueil de poème ou encore du roman La pierre de larmes, la gentillesse naturelle, la simplicité et a sensibilité de Bernadin Moutien font de lui un passeur d’émotions, un homme qui écrit avec le cœur et pour les siens.
Avec « Nou pou la », il offre à Rodrigues un chant fédérateur, ancré dans le vécu, porté par l’amour et la fierté de ses racines. Une œuvre qui lui ressemble, et qui restera dans les mémoires comme un moment de grâce, à la croisée de la culture et de l’histoire locale. Pour rappel, Les Jeux de Rodrigues avaient mobilisé 1600 athlètes, 200 entraineurs et encadreurs et 300 officiels et bénévoles. Les jeux de Rodrigues, une initiative de la commission de la jeunesse et des sports avaient bénéficié du soutien extraordinaire de plusieurs sponsors du privé.
Quant à Bernadin Moutien, il consacre actuellement son temps à l’écriture de la suite de son roman La Pierre de larmes, poursuivant son exploration de l’imaginaire avec la même passion qu’à ses débuts. Lorsqu’il quitte la plume, c’est pour retrouver la terre : il cultive son jardin avec soin et veille tendrement sur ses animaux. Entre fiction et nature, il cultive deux mondes, aussi riches l’un que l’autre.
